Frères et sœurs, le texte d’évangile que nous venons de lire, fait directement suite aux fameuses Béatitudes que nous avons entendues dimanche dernier. Le pauvre que Jésus proclamait heureux met sa foi dans le Seigneur, non pas dans des principes humains. L’Esprit de Dieu lui permet de vivre et de croître dans les orientations essentielles du message de la Bonne Nouvelle.
L’Évangile d’aujourd’hui, où Jésus nous commande d’aimer nos ennemis, est à prendre comme une application des Béatitudes. Il s’agit de bien saisir quels sont les enjeux miséricordieux dans nos relations avec les autres. Ces Béatitudes devraient nous interpeller au point de nous amener à nous interroger sur notre attitude à l’égard de ceux qui nous causent des torts.
Être « miséricordieux comme [notre] Père est miséricordieux », n’est-ce pas au-delà de nos forces, voire impossible à réaliser ? En effet, il ne s’agit pas seulement de tolérer nos ennemis (c’est-à-dire ceux qui parlent mal de nous, qui nous détestent et nous maltraitent) et d’être patients avec eux, mais de les aimer.
Sachons que plus que quiconque, Dieu sait qu’« à l’impossible nul n’est tenu ». Regardons le roi David dans la 1ère lecture. Alors qu’il en avait l’opportunité, il refuse de se venger du roi Saül, qui le pourchasse et lui veut du mal. Pourquoi ? Parce que Saül a reçu l’onction royale ; même injuste, il appartient au Seigneur. En épargnant son ennemi, David devient le modèle de l’Israélite fidèle, qui se conforme à la loi ancienne, où il était écrit : « Aime ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18 ; voir aussi Tb 4, 15). Il y a là déjà un bel enseignement. A l’instar de David, nous devons toujours éviter de confondre les hommes avec leurs erreurs. Même fautifs, ils ont encore du prix aux yeux du Seigneur. Sachons qu’en principe on ne devrait pas aimer quelqu’un parce qu’il est ceci ou parce qu’il est cela (bon, beau, etc.), mais tout simplement parce qu’il ‘est’. A partir du moment où l’on commence à poser des conditions pour aimer, on se donne la possibilité de ne pas aimer. Or l’amour chrétien est inconditionnel, étant donné que le frère à aimer a été voulu par Dieu. Or la volonté de Dieu est aimante. De quel droit haïrais-tu quelqu’un que Dieu a créé par amour ? Je pense que si « dès qu’un homme est né il est assez vieux pour mourir » (Martin Heidegger), dès qu’un humain ‘est’ il a suffisamment de valeur pour être aimé.En épargnant la vie de Saül, le roi David a bien compris qu’on ne supprimera pas une vie voulue par Dieu, qu’on ne portera pas la main sur son oint.Mais Jésus va plus loin encore que la non-violence de David, qui n’est pas encore le pardon des ennemis.
Pour Jésus, aimer, ce n’est pas seulement s’abstenir de faire du tort à son adversaire, comme David nous en donne l’exemple ; c’est répondre au mal par le bien, même s’il n’y a pas de réciprocité. Tout est gratuit, sans espoir de compensation, de récompense ou de gratitude. Et ne pas faire du tort à quelqu’un ne suffit pas pour dire qu’on l’aime. Il faut poser des actes concrets de bonté à son égard.
Le radicalisme évangélique dont il est question dans la page d’Évangile d’aujourd’hui, a, à mon sens, un double avantage : sur le plan spirituel et sur le plan social. Premièrement, sur le plan spirituel. Par le dépassement qu’il nous propose, Jésus veut nous arracher à nos réactions spontanées, à notre instinct naturel de vengeance, car en tant que chrétiens, nous n’appartenons pas seulement à la terre, mais nous sommes à l’image du Christ qui vient du ciel, comme nous l’enseigne saint Paul aujourd’hui. Cela nous invite à l’ambition de laisser la place à l’action de l’Esprit Saint, de faire prévaloir l’amour, en imitation de Dieu notre Père, qui n’est qu’amour, bonté et miséricorde. Deuxièmement, la grandeur d’âme que nous recommande Jésus à l’égard de ceux qui nous causent du tort, est bénéfique sur le plan social. Quand nous nous sentons offensés, nous cherchons spontanément à nous venger. Or, à bien y regarder, cela ne fait que compliquer nos relations. En effet, « la vengeance est un acte de pure rétorsion, elle ne répare jamais rien. Son intention n’est pas de réparer mais de causer un autre tort, en pensant que ce dernier pourrait laver l’affront du premier. Elle vise seulement à faire souffrir l’auteur d’un mal, rejoignant l’antique loi du talion ‘œil pour œil dent pour dent’ ». Au contraire, seule « l’attitude d’un cœur humble et patient […] peut placer le violent face à sa conscience et le désarmer ». Elle invite ceux qui nous font du mal à réfléchir sur leur acte et les force à entrer dans la logique, la dynamique de l’amour. Nous brisons ainsi le cercle de la violence.
Sommes-nous capables d’amour ? Avons-nous seulement assez l’esprit de pauvreté ? Sommes-nous les pauvres des Béatitudes pour faire confiance à l’agir de Dieu et pour bâtir la paix ?
VIIe DIMANCHE T.O / C
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